|
|
Comité scientifique comité d'organisation Colloque International du groupe de recherche transdisciplinaire KAIROS (Laetitia Belle, Joseph Delaplace, Christiane Page, Yohan Trichet)
Les 17 et 18 octobre 2024, Université Rennes 2
« Quand l’art fait symptôme. Une fenêtre sur le malaise contemporain »
René Magritte. La clé des champs (1936)
Programme :Prog_coll_KAIROS_web_2.pdf
Organisé par les unités de recherche, le laboratoire « Recherches en psychopathologie et psychanalyse » (RPpsy) et le laboratoire «Arts : pratiques et poétiques» (APP), Université Rennes 2.
Comité scientifique : François Ansermet (Pr. émérite de pédopsychiatrie, Université de Genève et Université de Lausanne), Pierre Bonny (MCF Psychopathologie Rennes 2), Jonathan Châtel (Pr. Études théâtrales, Université Louvain-la Neuve), Myriam Chérel (MCF Psychopathologie, Rennes 2), Domenico Cozensa (Pr. en psychopathologie, Université de Pavie, Italie), Simon Daniellou ( MCF Études cinématographiques, Rennes 2), Joseph Delaplace (Pr. Analyse des musiques du XX℮ siècle et approches transdisciplinaires de la création artistique, Rennes 2), Caroline Doucet (MCF Psychanalyse, Département de Psychanalyse, Paris 8), Quentin Dumoulin (MCF Psychopathologie, Nice), Laetitia Jodeau-Belle (MCF- HDR Psychopathologie, Rennes 2), Sophie Marret-Maleval (Pr. Psychanalyse, Paris 8), Patrick Martin- Mattera (Pr. Psychopathologie, Angers), Antoine Masson (Pr. Philosophie, Namur, Belgique), Céline Masson (Pr. Psychopathologie, Amiens), Christiane Page (Pr. Émérite Études théâtrales, Rennes 2), Pierre Piret (Pr. Etudes théâtrales, Université Louvain-la-Neuve), Giorgia Tiscini (Pr. Psychopathologie, Rennes 2), Yohan Trichet (Pr. Psychopathologie, Rennes 2).
Comité d'organisation : Maxime Annequin (Doctorant, Rennes 2), Pierre Bert (Doctorant, Rennes 2), François David (Doctorant, Rennes 2), Joseph Delaplace (Pr. Analyse des musiques du XX℮ siècle et approches transdisciplinaires de la création artistique, Rennes 2), Elise Etchamendy (Doctorant, Rennes 2), Laetitia Jodeau-Belle (MCF-HDR, Rennes 2), Rebecca Lesgoires (Doctorant, Rennes 2), Stevan Le Corre (Doctorant, Rennes 2), Patrick Martin-Mattera (Pr. Psychopathologie, Angers), Christiane Page (Pr. émérite Études théâtrales, Rennes 2), Yohan Trichet (Pr. Psychopathologie, Rennes 2).
Cellule recherche UFR Sciences Humaines : Halima Delamarre (responsable), Véronique Gastineau
– Argument scientifique –
Le célèbre Malaise dans la civilisation freudien fut conçu et rédigé dans un contexte particulier : S’inscrivant dans la continuité d’une réflexion du fondateur de la psychanalyse sur la culture, la société, la religion et l’anthropologie, — qui se décline initialement dans Totem et tabou (1913) ainsi que dans L’avenir d’une illusion (1927) —, il est aussi un écho, à l’échelle d’une réflexion élargie, à l’Au-delà du principe de plaisir de 1920. Il analyse les incidences de la pulsion de mort sur un plan collectif. Le contexte historique et politique d’un entre-deux guerres, nourri de tensions larvées, lui donne une résonance particulière et la tonalité rétrospective d’une prémonition de l’holocauste. Presque cent ans plus tard, force est de constater que le « malaise » sourde toujours au cœur du tissu social de notre civilisation néo- libérale, même s’il s’est de plus en plus habilement tapi sous l’illusion du progrès. Un certain scientisme n’a pas tenu ses promesses de bonheur, et la croissance exponentielle des connaissances ne profite pas à l’humanité de la manière escomptée, d’autant que cette dernière est confrontée depuis plusieurs décennies à un certain nombre de menaces autodestructives majeures. La création artistique contemporaine s’attache souvent à faire saillir le malaise. Entre engagement surexposé du corps, parfois violenté, exacerbation des objets regard et voix, subversion du langage, ou encore usage détourné des technologies numériques, on assiste à une plongée au cœur des dimensions pulsionnelles les plus virulentes, et le spectateur se trouve confronté à une mise en lumière des modes contemporains de jouissance. De la manière la plus obscène à la plus fine médiation, un ensemble de productions artistiques nous parle du réel de notre existence, au cœur d’une civilisation tard venue (Spätzeit). « Quand l’art fait symptôme » interroge, d’une part, la fonction de l’art dans le lien social actuel notamment à travers la nouveauté des discours, la multiplicité des modes de jouissance et ses effets de résonances et de percussions sur le corps vivant. L’art vient ici comme un révélateur, voire un catalyseur, du malaise contemporain. Et, d’autre part, il interroge la fonction sinthomatique que peut prendre la création pour un artiste et de quelle façon il parvient à faire de son art un « escabeau » à son ego.
Ces deux champs d’études et de recherches explorent l’art sur le versant de l’inconscient réel, à l’époque de l’envers du beau, apollinien et protecteur, de l’envers de la représentation, de la montée au zénith de la jouissance et de la pullulation des objets. Situer l’art du côté du symptôme ouvre ainsi une fenêtre à travers laquelle nous pouvons cerner, à partir des œuvres artistiques actuelles, des bouts de réel contemporain – entre sublime et déchet.
Cinq axes thématiques sont mis à l’étude pour ce colloque :
- Premier axe : Genre, sexuation et création (semblants, fictions, subversions)
Nombreuses sont les femmes artistes qui jouent sur les stéréotypes du genre. Elles se photographient, se mettent en scène dans des performances dérangeantes, subversives, venant interroger les codes de la féminité comme support de fantasmes. Chacune d’elles représentent une féminité fictionnelle tout en franchissant les frontières du beau et de la norme phallique. L’art n’a pas de genre. Il existe par contre de nombreux semblants qui, dans l’art, viennent s’articuler à la jouissance, toujours hors-norme. L’artiste démontre, au moyen des semblants masculins et féminins, que la jouissance, elle, n’est d’aucun genre et s’affranchit toujours des normes universelles. Ainsi l’artiste peut prendre appui sur les semblants pour approcher une zone au-delà, un réel de la jouissance qui touche à l’irreprésentable, au hors-sens, voire à l’insupportable. Le travail par la lettre en constitue une possible traduction - « La copie cent modèles » de Cindy Sherman par exemple ou le travail de Sophie Calle -, de même que l’invention d’une nouvelle forme d’énonciation, une nouvelle mise en scène du corps sexué en passant par l’art du déguisement, du travestisme. Chacune à sa façon, au gré d’un cadre choisi, l’artiste se prête à se faire objet d’un Autre, parfois au-delà de toute limite. Que nous apprennent ainsi ces artistes sur la jouissance féminine : entre centre et absence, fiction et réalité, semblant et réel ? Et que nous disent-elles de la déclinaison actuelle du non-rapport entre homme et femme ?
- Second axe : Violence dans les arts (Performances, mise en jeu du corps dans des dispositifs scéniques)
Cet axe se propose d'explorer, à partir d'études d'œuvres et d'artistes, les liens entre violence et création artistique. Le mot violence est issu du latin vis qui signifie « la force en action, la contrainte, la force vitale. » Selon son usage, elle est force dynamique, créatrice ou destructrice et sans loi. Qu'elle soit mise en scène – au théâtre et au cinéma -, en récit, en musique, en vers, peinte, etc., la violence est une thématique privilégiée par les artistes. L'art, au même titre que la médecine, par exemple, participe alors au travail de civilisation repéré́ par Freud dans son ouvrage Malaise dans la civilisation. « Violence dans les arts » c'est la violence de la création, mais aussi la violence dans la création, la violence par la création, la violence de l'acte créateur, la solitude qui l'accompagne et ses dangers. Nécessitant un certain franchissement des codes et des normes artistiques et sociales d'une époque, prenant à l'occasion une forme violente, la création est l'acte d'un sujet. Les « performances » artistiques mobilisent une certaine violence dans sa mise en scène mais aussi dans sa visée performative, au niveau du spectateur. Il semble que la performance soit indissociable d’une certaine forme de violence qui heurte, blesse, voire angoisse. Ainsi se pose la question de la visée de la violence ici : Pousse-t-elle à la réflexion sur d’autres formes de violences actuelles (sur le corps des femmes par exemple) ? Constitue-elle une nouvelle forme d’expression artistique du malaise contemporain ? Sommes-nous plutôt sur la scène du cauchemar plutôt que celle du rêve ?
- Troisième axe : Création et nouvelles technologies (Les objets et ses avatars, Intelligence Artificielle)
Des dispositifs artistiques actuels font monter sur la scène des objets technologiques issus du marché capitaliste. Les différents arts se sont toujours servis des nouveautés techniques de leur époque qui élargissaient les limites de leurs pouvoir. Freud l’écrivait dans Malaise dans la civilisation : « grâce à tous ses instruments l’homme perfectionne ses organes – moteurs aussi bien que sensoriels –, ou bien élargit considérablement les limites de leur pouvoir. Les machines à moteurs le munissent de forces gigantesques, aussi faciles à diriger que celle de ses muscles ; grâce au navire et à l’avion, ni l’eau ni l’air ne peuvent entraver ses déplacements1 ». au XXI℮ siècle, la science a permis d’aller plus loin : l’art numérique promet une plus grande expressivité de sa création puisque l’homme serait limité par sa pensée et sa condition d’être parlant. L’art au temps du numérique questionne le lien du créateur à la pulsion, car le corps y est ainsi impliqué autrement puisque passant désormais, dans son acte, par un circuit de substitution. On assiste désormais à une sorte de fusion entre l’être parlant et les technologies contemporaines. L’objet technologique fait-il ainsi partie de la création en tant que telle ? Est-il à considérer comme un support artistique inédit qui repousse les limites de l’art ? Est-il à considérer comme un ersatz des objets pulsionnels ? Quels impacts et quels effets sur les spectateurs ? Déjà en 2013, un critique soulignait l’effet produit sur les spectateurs par l’opéra qui mettait en scène une Diva Virtuelle : « The End, Vocaloid Opera a su toucher les Japonais capables de ressentir des émotions à travers des objets ou des personnages qui sont en réalité dépourvus d'âme ». Mais depuis Freud, nous savons que peu importe l’objet de la pulsion, et si nous sommes désormais accoutumés aux robots, aux codes, aux machines, le théâtre dit « immersif » associé aux acteurs virtuels, aux hologrammes, aux effets de réalité augmentée, pousse les choses plus loin, mettent les spectateurs dans une autre position mi- humaine-mi-virtuelle qui brouille les repères de la réalité et pose de multiples questions.
- Quatrième axe : Corps, sciences et création (Expérimentations et pratiques esthétiques sur le corps)
Les apports mutuels entre l’art et la science se sont développées à partir du XV℮ siècle sous la figure de l’artiste-savant, tel Léonard de Vinci dont les dessins constituèrent de véritables apports à la science anatomique naissante. À l’inverse, des savants n’hésiteront pas à utiliser eux-mêmes leurs inventions techniques, tel le cinématographe pour les frères Lumière qui participeront ainsi à la naissance du septième art. Ces apports mutuels, où le corps occupe une place centrale, vont s’intensifier et connaissent, depuis le dernier quart du XX℮ siècle, un véritable essor. Si celui-ci s’est vraisemblablement nourri des progrès et découvertes scientifiques réalisés ces dernières décennies, il n’est sans doute pas sans lien également avec la domination du discours scientifique dans nos sociétés occidentales. Mais contrairement aux planches de Léonard de Vinci ou les vues des frères Lumière, le corps n’est pas uniquement représenté dans ces œuvres contemporaines. Il ne s’agit plus seulement d’en produire des représentations, des images fussent-elles animées. En effet, nombre d’expériences artistico-scientifiques ou pratiques artistiques nécessitant l'implication de scientifiques ou de médecins, utilise le corps comme le lieu même de l'expérimentation, devenu l'objet et la matière première de la production artistique. Une telle évolution mérite d’être questionnée. Le scientifique est-il alors le partenaire de l'artiste ? Son instrument ? Ou, si l’on reprend le signifiant de « servant » avec lequel Lacan qualifie le scientifique à l’égard de la science, le servant de l’art ? Et de quel corps parle-t-on ? Quel corps est ainsi transformé voire produit ? Un nouveau corps aux coordonnées subjectives et/ou politiques inédites ? De quel savoir témoigne alors ces artistes sur le malaise contemporain ?
- Cinquième axe : 5. Création et institutions (Créations et arts bruts, pratiques cliniques et inventions subjectives)
À l’heure de l’extension du marché des protocoles d’évaluation dans les lieux institutionnels, produisant des effets de déshumanisation du soin psychique, la possibilité des modes d’expression par la création semble néanmoins y survivre. Dans cet axe, nous interrogeons les liens existants entre invention, création et institutions. Qu’est-ce qui s’invente aujourd’hui, tant du côté de l’institution que du patient, et qui préserve une place à la subjectivité ? De quelle façon la création, quels que soient ses modes d’expression, se met au service du plus intime d’un sujet, qui produit sa souffrance psychique, c’est-à-dire son symptôme ? Entre écriture auto-thérapeutique, productions artistiques éphémères, pratiques de l’art brut, bricolages, groupes à médiation artistique ou numérique, le patient rejoint l’artiste, l’institution l’y accueille et lui fait une place particulière. Ici s’ouvre une autre fenêtre sur le malaise contemporain et ses modes de traitement, toujours inédits et inventifs.
1. FREUD Sigmund., Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1971, p. 38-39.
|
Personnes connectées : 2 | Vie privée |